Les filles de Dignimont.

André Dignimont, la vie foisonnante d’un artiste à Paris au temps des années folles, de Philippe Brun, éditions Dittmar.

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André Dignimont (1891-1965) a su, selon Jean Galtier-Boissière, « admirablement rendre l’atmosphère des quartiers chauds où cols bleus et biffins en bordée, après tant d’heures de solitude et de cafard, viennent, sans complications psychologiques, caresser de belles animalités féminines et, dans les bras d’une promise par procuration, s’attendrissent aux nostalgiques accents d’un accordéon, négligemment malaxé par quelque mystérieux levantin. »

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Affichiste, dessinateur publicitaire, décorateur de théâtre, illustrateur de Francis Carco, Pierre Mac Orlan, Octave Mirbeau, Georges Courteline, Raoul Ponchon, Galtier-Boissière, Emmanuel Bove,  Colette et bien d’autres, il est aujourd’hui à peu près oublié, comme la plupart des artistes du livre.

Hormis Ces messieurs-dames ou Dignimont commenté de Carco (1926), Dignimont d’André Warnod (1929), et Dignimont de Carco (1946), il n’existe pas d’étude qui lui soit consacrée.  On attendait donc avec impatience la monographie de Philippe Brun, aux éditions Dittmar. Il s’agit, hélas, d’un essai non transformé.

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Après un avant-propos inutile de l’éditeur, le texte déroule en vrac la vie de Dignimont. L’auteur semble avancer sur des sables mouvants. Il use et abuse de l’adverbe « probablement » (« Georges Simenon connaît probablement Dignimont. »), pose des questions auxquelles il se révèle incapable de répondre (« A-t-il connaissance de l’Exposition Universelle qui se tient à Paris en 1900? S’y est-il rendu seul ou avec ses parents? Mystère. » Autre exemple, évoquant La Garçonne de Victor Margueritte : « Qu’en dit Dignimont? Étonnamment rien. ») ; hasarde que  Dignimont « aurait certainement aimé connaître » Pierre Loti. On aurait aimé en apprendre plus sur ce qu’a fait Dignimont durant la Grande Guerre. L’auteur se plaît à donner des listes de noms d’artistes, de couturiers, d’acteurs, de littérateurs, qui donnent l’impression plus d’un carnet mondain que d’une biographie. Mais rien, ou presque, sur l’amitié entre Dignimont et Gus Bofa, entre Dignimont et Chas Laborde…

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L’auteur insiste de façon disproportionnée sur la brève et modeste carrière de comédien de Dignimont et ne s’attarde guère sur le livre illustré. Les 48 gravures sur bois de Les Innocents de Carco (1924) sont ainsi expédiées :  » [Dignimont] réussit à animer l’intrigue. Malheureusement  l’édition paraît sur un vilain papier alfa, qui n’a de pur que le nom, et son travail passe inaperçu du grand public. » Et la nouvelle interprétation graphique que Dignimont donne du roman en 1930, pour Emile Hazan, est tout bonnement ignorée et ne figure pas même dans la bibliographie. On relève des approximations gênantes. En 1912, Dignimont fréquente la « faune montmartroise »: Mac Orlan, André Derain, Gabriel Daragnès et… Marcel Aymé, lequel a 10 ans et n’a pas encore mis les pieds à Paris! Oscar Wilde, apprend-on, s’est suicidé. Gus Bofa est présenté comme un « peintre caricaturiste ». Or il n’était que très peu caricaturiste et pas du tout peintre.

Chas Laborde, lui, est un « illustrateur prolifique caricaturiste du monde environnant ». Et M. Brun fait de ce grand voyageur un homme « très pudique et casanier », ajoutant qu’il « ne rêve en secret que de ports, de voyages, pleins de bordées et de tempêtes ». Et d’ajouter que Chas a décidé de se consacrer au dessin « après l’échec de sa première exposition de peinture dans une galerie de Montparnasse dans les années 20 ».  Signalons à M. Brun qu’il s’agit de la galerie que tenait Nandette Monthui, rue Laffitte, près de Notre-Dame de Lorette (et non à Montparnasse), que l’exposition a eu lieu en 1927, que Chas vendait déjà des dessins en 1900, illustrait des livres depuis 1921 et n’a pas cessé de peindre malgré cet échec.

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L’auteur ne parvient, malheureusement, ni à faire mieux connaître le personnage de Dignimont, ni à donner une analyse un peu poussée de son oeuvre.  La bibliographie, incomplète et assez sommaire, contient de nombreuses erreurs. Ainsi les eaux-fortes  noir et blanc de Perversité et de Nuits de Paris sont présentées comme des hors-texte en couleurs! Un « cahier photo » se réduit à 11 dessins de Dignimont, et pas les meilleurs, et 5 photos à l’intérêt variable. Les « biographies des principales personnalités citées contemporaines de Dignimont », frôlent le surréalisme.  Bofa (Gus) voisine avec Bouvard (Philippe) qui « fréquente toutes les couches de la société française »; Céline (Louis-Ferdinand), aux « opinions avancées et langage populaire particulier », précède Chagall (Marc) qui « décompose les formes par facettes, judaïsant, activité très soutenue ». Pascin tient en deux phrases étonnantes : « Peinture expressionniste désabusée. Suicide après un rendez-vous manqué avec Carco ».

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Ajoutons que la lecture de ce court livre n’est pas facilitée par une mise en page et une typographie basiques, et de multiples coquilles (Jonquières devient Jonquères, etc.)

Les amateurs de dessin et les amoureux du livre préféreront donc le beau Sylvain Sauvage de Bernard Saugier.