La fille près de la rivière.

Première pudeur, Le Sourire, 25 juin 1914.

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Il fait beau, un temps pour les Parisiens à aller s’asseoir dans l’herbe au bord de l’eau. Le printemps donne des idées au gros homme échauffé par le vin. La gamine maigrichonne ne tient pas plus que ça à passer à la casserole. Le bourgeois rubicond, suant et soufflant, n’a rien d’appétissant. C’est peut-être son patron, ou un oncle, ou un adepte des amours ancillaires. La fille se débat, proteste :

Non ! Laissez-moi ! Vous ressemblez à Papa quand il est saoul.

Difficile de rire, même si le dessin paraît dans Le Sourire. Tout est là : la laideur et l’obscénité du prédateur ventripotent…  Les mains épaisses de l’homme sur le poignet et l’épaule frêles…
Et cette phrase incongrue qui ouvre des aperçus sinistres sur la vie de famille.
Le pire est que la gamine cèdera sans doute. De pareils débuts dans la vie n’augurent rien de bon…
Chas Laborde se révèle ici aussi féroce qu’un Forain. Et peut-être encore plus cruel, car les deux protagonistes de ce petit drame ordinaire existent. Ils ne sont pas des « types » rassurants, des figurants de répertoire. Chas Laborde leur donne une vie individuelle singulière, et déchirante. Le pauvre chapeau à fleurs de la fille… Le gros qui a déboutonné son gilet pour être à l’aise.

A propos de Chas, Jacques Sternberg évoque Toulouse-Lautrec mais ajoute  « un Toulouse-Lautrec qui aurait osé descendre plus bas et plus profond dans la misère et le délabrement, un Toulouse-Lautrec moins artiste aussi, moins soucieux de rendre le hideux fascinant à regarder. Chas Laborde me semble moins chercher à plaire. Il voit sinistre, vénal, crasseux et l’exprime avec un ton doté d’une acuité sans aucune complaisance, avec un humour gris, proche de la révolte et du mépris. »