La fille et la souris.

Les chansons érotiques de P.-J. Béranger , »Aux dépens d’un amateur », 1926.

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Dessin de Virot, 1926.

Publié d’abord en Belgique, en 1835, puis en France en 1864, sept ans après la mort de leur auteur, les chansons érotiques de Béranger sont des poèmes grivois ou paillards, écrits sur des airs connus. Le ton en est gai, léger et tolérant. En voici un échantillon :

Mais l’effroi la domine,
Lise s’évanouit.
La souris libertine
Gagne alors son réduit.

Cette souris, ma chère,
Ne craint plus le matou :
Lise, laissez-la faire,
Elle a trouvé son trou.

L’édition de 1864 fut publiée avec un frontispice de Félicien Rops. Une version illustrée par Joseph Hémard est publiée en 1924 par G. Crès. Une autre, sous le titre de Chansons galantes, en 1937, avec des aquarelles de Rojan; une autre en 1943, illustrée par André Collot.
Les chansons érotiques de P.-J. Béranger, publié en 1926 (et non 1923 comme indiqué sur le livre), comporte quatorze planches gravées à l’eau-forte et coloriées. Elles sont signées Virot. Cet ouvrage est passé, naguère, sur ebay, et le vendeur en attribuait les dessins, à… Chas Laborde. Il ne faisait que reprendre l’attribution faite par Luc Monod, dans son Manuel de l’amateur de livres illustrés modernes. Attribution parfaitement fantaisiste, avec pour seule référence un catalogue de ventes datant de 1987 et un libraire anonyme(!). Aussi méritoire et utile que soit le travail de Luc Monod, il n’est, hélas, pas exempt de telles erreurs. Et on ne peut que regretter la paresse de certains marchands qui se contentent de recopier des notices, sans faire de vérification.
Signalons d’abord qu’aucune source contemporaine de Chas Laborde n’évoque ces Chansons érotiques. Ensuite, à examiner les planches, il devient vite évident qu’il s’agit là de l’oeuvre d’un amateur. Le trait est maladroit, peu assuré, dépourvu de sensualité. Les visages frappent par leur inexpressivité. Virot se révèle également incapable de dessiner les mains. Et sa technique de gravure est rudimentaire.
Quand aux scènes représentées, elles sont, comme le demande le genre, convenues, sans imagination. Pire encore, elles trahissent l’oeuvre de Béranger. La simple comparaison des dessins de Virot avec ceux de L’Inflation sentimentale ou Les Démons gardiens suffit à un œil raisonnablement exercé pour s’assurer qu’ils ne sont pas de la même main. Les images érotiques de Chas sont cérébrales, subtiles et cinglantes; celles de Virot, complaisantes et banales, se contentent de décliner les codes de la pornographie.

Dessin de Virot, 1926.

Dessin de Virot, 1926.

Dessin de Chas Laborde, 1924.

Dessin de Chas Laborde, 1924.

Chas Laborde, baptisé par Carco « l’ami des filles », ne s’embarrasse guère de la morale bourgeoise. Pas plus d’ailleurs que de la libido de médecins ou de notaires, frappés d’apoplexie à la contemplation d’ouvrages achetés sous le manteau. La simple idée que ce « fou de dessin » puisse perdre son temps à bâcler de mauvais dessins pour flatter la lubricité de vieux messieurs fortunés (le livre était vendu à l’époque entre 900 et 300 francs) est ridicule.
Enfin, l’amabilité d’un bibliomane a permis de comparer l’écriture de Virot et celle de Chas Laborde. Elles n’ont aucun point commun, pas plus que leurs crayonnés.

Esquisse de Virot, 1926.

Esquisse de Virot, 1926.

Le pornographe masqué conserve donc son mystère. Sans doute faut-il prendre au sérieux l’intitulé du livre et admettre qu’il s’agit du caprice d’un amateur.
Les Chansons érotiques de P.-J. Béranger est tiré à 260 exemplaires; 5 exemplaires sur japon impérial (1-5) comprenant une aquarelle originale; 250 exemplaires sur vélin blanc de Montgolfier (6-255); 5 exemplaires de collaborateurs, hors commerce.