La fille éplorée.

Rupture, dessin paru dans Le Rire, n°115, 16 avril 1921.

 

L’appartement donne sur le magasin. On a laissé la porte entrebâillée au cas où un client se présenterait. Sur la table du café et une bouteille de liqueur. La patronne de la boutique finissait son déjeuner lorsque la blonde éplorée, sans doute sa vendeuse,  est venue lui raconter ses malheurs. La femme la console:

– Pleure pas… Ne pense plus à lui…

– Comment n’y plus penser; je paie encore son complet par abonnement…

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Les grandes douleurs gagneraient à rester muettes.La fille trop décolletée vient de se faire plaquer par son amant, alors qu’elle paie encore les traites du costume qu’elle lui a offert.

Qui la console? La main épaisse, carrée, lourdement baguée, le maquillage plâtreux, et ce bras de propriétaire passée autour des épaules de la fille, tout indique une maquerelle qui, enrichie dans le commerce du sexe, a investi ses économies dans une boutique et s’est retirée du business. Elle a accroché au mur le portrait du temps où les hommes la trouvaient désirable. Le papier peint criard et le buffet Henri II indiquent sa nouvelle respectabilité sociale. On notera sur le buffet le service à café réservé aux grandes occasions. Est-ce l’avenir qui attend la jeune femme blonde?

En publiant le dessin, le journal en modifie le titre et la légende. « Rupture » remplace « Réminiscences ». L’homme n’est pas encore parti et la fille semble éprouver des sentiments pour lui. Le détail du costume est évacué.  Et un « ma petite », presque maternel, est ajouté pour brouiller les pistes.

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– Tu ne sais pas ce que cela me coûterait de le quitter…

– Moins que de le garder, ma petite!

 

De l’art et la manière d’arranger un dessin…