La fille de Montigny.

Claudine à l’école, de Willy et Colette Willy, Henri Jonquières éditeur, 1925.

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Claudine à l’école paraît en 1900. Willy a 41 ans et est marié depuis sept ans à Colette.  Né dans  une famille d’éditeurs réputés, il tient de multiples chroniques dans la presse, exerce la fonction de critique musical et publie des romans plus ou moins léger, Maîtresse d’esthètes, La Môme Picrate ou  Un petit vieux bien propre, romans fabriqués à la chaîne par des collaborateurs multiples , dont Paul-Jean Toulet, Francis Carco, Roland Dorgelès, Xavier-Marie Boulestin, Gyp, Pierre Veber… Chacun d’eux a sa spécialité et Willy leur distribue les chapitres à écrire.  Les Willy mènent grand train. Un jour que les fonds sont bas, Willy suggère à son épouse d’écrire ses souvenirs d’école. C’est ce texte, « qu’il a fallu », prétend-il, « affadir et féminiser pour la vraisemblance » qui servira de base à Claudine à l’école.  Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, il écrit lui-même la préface de son roman, qu’il présente comme scandaleuse, un journal de jeune fille, mais non pour les jeunes filles. Le roué se prétend stupéfait de ce qu’il a lu et pour mieux attiser le scandale, met en avant Colette. Le succès du roman est prodigieux. Les 25.000 exemplaires sont atteints en deux ans.

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Claudine à l’école s’ouvre sur un portait de l’héroïne fixant le lecteur : « Je m’appelle Claudine. J’habite Montigny. »

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Les illustrations de Chas ont du décevoir les amateurs de curiosa et de fruits verts. Tout ce qui, dans le roman, choque délicieusement le public bourgeois, les scènes lesbiennes, les bagarres en chemise de nuit, etc., sont passées sous silence. Et Chas s’amuse à dessiner Claudine, toute droite, le corps à 45°, pour espionner Mlle Sergent et Aimée, mais le lecteur, lui, ne verra rien.

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Il se concentre sur ce qui reste l’aspect le plus réussi du livre : la description du monde de l’enfance, avec son insouciance et son énergie, mais aussi son égoïsme, et sa cruauté. On peut penser que ses propres souvenirs d’école ne diffèrent pas beaucoup de ceux de la romancière : chahuts, professeurs plus ou moins ridicules. Anaïs se dissimule pour rire derrière l’Atlas géographique Vidal Lablache, que Chas a eu avoir entre les mains durant sa scolarité. Et il a, comme Claudine, passé des heures à rêver, perché dans un arbre. Il prend soin d’ailleurs de souligner l’indépendance de la fillette, à la curiosité toujours en éveil, son insolence, sa vivacité.

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Il prend plaisir à dessiner les adolescentes dans leur vie quotidienne, à l’intérieur de ce monde clos qui est l’école. Une très jolie scène montre les gamines aidant à déménager les affaires de l’institutrice. Tous les détails, dont celui de la fillette portant des livres en équilibre sur sa tête, sortent de l’imagination de Chas. Signe de la tendresse qu’il éprouve pour Claudine et ses camarades, il adresse un clin d’œil à sa fille, Yolande, qu’il dessine, page 270, regardant l’héroïne de Colette frisant une blondinette.

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La même scène vue par Henri Mirande.

Chas veille à l’unité graphique des quatre volumes. On retrouve donc des décors, comme la sapinière de Montigny, et des personnages, telle Luce et sa « petite gueule féline ». Il a lu attentivement les romans. Et s’il fait un tri entre ce qui le touche et ce qui ne le touche pas,  il sait l’importance du détail qui, bien choisi, animera à lui seul un personnage.

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« Je lui dois », écrit la romancière, « les images, nombreuses, qui décorent les quatre Claudine. Il y fait preuve de sa charmante minutie, de son soin respectueux et ironique. Nulle part il n’a oublié que tel petit personnage a les cheveux courts, que telle fillette a des nattes blondes, qu’Annie est coiffée en catogan, que Marthe a l’air méchant. »

Les vignettes de Claudine à l’école confirment le talent de l’artiste pour synthétiser en quelques traits un paysage campagnard ou citadin. Il pousse bien plus loin que ne lui permettait la presse illustrée, sa quête de simplification graphique. Ainsi la salle de restaurant, où une Claudine, intriguée, observe ce décor nouveau, avec son ballet de serveuses en grand tablier blanc. Ou la gare avec ses personnages minuscules, parfaitement caractérisés. Ou encore cette scène de bal, tout en mouvement, fourmillant de notations. Elles mêlent humour et tendresse. Partant à la recherche du temps perdu, il montre l’omnibus du père Racalin, plutôt que le train, et aligne aux fenêtres les écolières  coiffées de « grands chapeaux simplets .»

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Les adultes sont ici des prédateurs grotesques.  Inoffensifs comme le bel Antonin Rabastens, que Chas préfère coiffer d’un melon plutôt que de la casquette de fourrures décrite dans le roman, ou dangereux comme le docteur Dutertre, qui mettrait volontiers Claudine dans son lit. Chas ne montre pas le satyre caresser l’écolière. Il ne dessine pas pour flatter le voyeurisme du public. Mais il rattrape le médecin au tournant, ridiculisant son élégance criarde de dandy de province et son allure de renard dans un poulailler.

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La même scène vue par Henri Mirande.

La visite du ministre est l’occasion d’un autre jeu de massacre. Tandis que tapage la fanfare municipale, Les trois excellences, un ministre ventripotent et barbichu, solidement encadré par un préfet grassouillet et un général croulant sous les médailles, lorgnent les demoiselles, coiffées de fleurs, comme des agneaux parés pour le sacrifice, qu’on leur présente.

 

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Illustration de Henri Mirande pour « Claudine à l’école ».

Colette remercie Chas de rajeunir ses livres. Et de fait, si on compare les illustrations que donnent Chas avec celles du Niçois Henri Mirande pour Claudine à l’école, réalisées vers 1911 pour le compte de la Librairie Ollendorff, la modernité de Chas saute aux yeux. Là où Mirande suit le texte à la lettre et donnent souvent comme légende à une composition la phrase du roman qui l’a inspirée, Chas transpose, suggère. Sous son crayon surgissent des villages « d’un vert frais, d’un rose de tuile, l’un a son clocher, d’autres un petit train, une file de peupliers, une maison bourgeoise à perron, une volée de fillettes hors de l’école. C’est Montigny ? Oui. C’est le vrai Montigny, celui qui n’a jamais existé, celui que Chas Laborde n’a jamais vu et que, du tablier noir à la colline, de la distribution de prix au pâturage, j’ai pourtant trouvé merveilleusement ressemblant. »

Claudine à l’école est achevé d’imprimer le 20 mars 1925 et tiré à 1202 exemplaires. 1 sur Japon impérial (1) contenant tous les dessins originaux; 11 (2-12) sur Japon impérial; 30 (13-32) sur Vélin du Marais; 60 (43-92) sur Hollande van Gelder; 1100 (103-1102) sur Vélin teinté de Rives. En outre, ont été tirés 10 exemplaires hors-commerce sur Hollande (93-102); 10 hors-commerce sur Hollande (93-102); et 100 hors-commerce sur Vélin teinté (1103-1202).  Et 25 exemplaires sur Madagascar Lafuma (A-Z) pour M. Edouard Champion.