La fille de la rue Jacob.

Claudine à Paris, de Willy & Colette Willy, Henri Jonquières, 1925.

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C’est en 1924, avec Claudine en ménage, que le jeune éditeur Henri Jonquières met en chantier la série des Claudine, de Willy et Colette Willy, illustrée par Chas Laborde. Colette a cinquante ans. Séparée de Willy en 1906, remariée en 1912 avec Henri de Jouvenel, homme politique et journaliste,  elle est désormais une actrice, conférencière et romancière reconnue. Depuis 1922, elle ne signe plus Colette Willy mais Colette.

Willy, qui souffre « de rhumatismes compliqués de dèche », n’est plus qu’un vestige de la Belle Epoque. Réfugié à Monte-Carlo il y expérimente des martingales invariablement foireuses. En tête de chaque réédition des Claudine, un avertissement précise que la collaboration de Willy et Colette ayant pris fin, il convient de remplacer la signature unique de ce volume par celles de Willy et Colette Willy.

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Jonquières publie Claudine à Paris en 1925. La première image  plante le décor : Claudine, en tenue de voyage, et, par la fenêtre du fiacre, un omnibus, un cycliste, et la Tour Eiffel par-dessus les toits.

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Paris vu par Chas Laborde.

En quelques vignettes, Chas revisite la capitale au début du siècle. Dans les rues se côtoient soldats et bourgeois, ouvriers, Les mitrons livrent les gâteaux à bicyclette ou à pieds. Des chevaux tirent les voitures de livraison et les omnibus. Un homme en pelisse tourne la manivelle d’une des premières voitures, où attendent sa femme et ses enfants, avec des lunettes de voyage qui leur donnent l’allure d’une famille de chouettes. Tout un mode revit en quelques vignettes précises et spirituelles.

Paris vu par Roubille.

Paris vu par Roubille.

On comparera avec les dessins plus sages d’Auguste Roubille (1872-1955) qui avait lui aussi illustré le roman, avant la guerre, la librairie Ollendorff.

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La jolie Chypriote par Roubille.

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La jolie Chypriote par Chas Laborde.

Paris est une ville érotique. Et Chas s’amuse à faire se retourner sur le passage de Claudine un vieux marcheur, un cocher de fiacre qu’un jeune apprenti. Roubille, lui, donne dans la métaphore graphique et dessine des pattes de satyre, à l’homme qui suit Claudine dans la rue.

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Illustration de Roubille.

Illustration de Roubille.

 

L’illustration de Chas glorifie la grâce de la jeunesse. On voit Claudine et ses camarades d’école à Montigny comparer les progrès de leurs poitrines respectives ; Claudine nue dans son tub ; Son œil remarque les jolies voisines de table dans une brasserie, les deux arpettes que suit un marcheur, l’attitude d’une jeune femme se penchant par-dessus la rambarde d’un escalier.

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Cette beauté si fragile est précieuse. Malheur aux vieillards libidineux qui convoitent les petites Suzanne. S’il pardonne volontiers à Luce son immoralité, imposée par les circonstances, il fustige la laideur, physique et morale, du vieux débauché. Chas exécute en deux images féroces le tonton gâteau de Luce, qui la déguise en écolière et la fait asseoir à un petit bureau pour fouetter sa libido. Et quand il dessine la jeune femme se réveillant près de son protecteur, il traduit tout son dégoût : « Il est si laid quand il dort. »

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Il faut laisser les jeunes gens entre eux. Et Chas de développer en une série de dessins amusés et tendres la liaison de Marcel et de Charlie. Aucun embarras dans ces dessins : une histoire d’amour est une histoire d’amour.  Là où Roubille dessine des « gobettes en culottes » se déhanchant exagérément dans des souliers à rubans, Chas, s’écarte des représentations convenues et montre simplement un couple d’amoureux dans une guinguette au bord de la Seine.

Marcel vu par Roubille.

Marcel vu par Roubille.

 

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Marcel vu par Chas Laborde.

 

Colette remarquera, bien plus tard, la perfection des petits paysages que Chas glisse en tête de chapitre  : « Par delà les corps couchés, les femmes accolées qu’il peignit, il y a toujours un paysage, fût-ce celui d’une chambre close ou d’une salle de bistrot. Dans ces paysages d’intérieur le trait délié de Chas Laborde attire l’œil sur une pendule Napoléon III, un rideau obèse, compte les fleurs du papier de tenture, entrebâille une fenêtre sur un bec de gaz. »

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Dédicace de Chas Laborde à la fille d’André Salmon.

Claudine à Paris est achevé d’imprimer le 20 juin 1925 et tiré à 1202 exemplaires. 1 sur Japon impérial (1) contenant tous les dessins originaux; 11 (2-12) sur Japon impérial; 30 (13-32) sur Vélin du Marais; 60 (43-92) sur Hollande van Gelder; 1100 (103-1102) sur Vélin teinté de Rives. En outre, ont été tirés 10 exemplaires hors-commerce sur Hollande (93-102); 10 hors-commerce sur Hollande (93-102); et 100 hors-commerce sur Vélin teinté (1103-1202).  Et 25 exemplaires sur Madagascar Lafuma (A-Z) pour M. Edouard Champion.