La fille de la Ratp.

La boue, La Baïonnette, n°153, 6 juin 1918.

 

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En mars 1916, le soldat Charles Laborde obtient sa première permission. Il est au front depuis la fin septembre 1914. Son frère aîné, Jean-Félix, sergent au 1er groupe d’Aviation, est mort le 10, dans un hôpital parisien, d’une « maladie contractée au service. » La messe d’enterrement a lieu dans l’église de Saint-Martin-des Champs. Barbu, très amaigri, Chas débarque du train, musette en bandoulière, souliers et uniformes boueux. Après la cérémonie, se tient un conseil de famille, qui nomme Chas tuteur des deux fils du mort. L’apparence de son oncle frappe Guy : « Comme tous les permissionnaires de l’époque, il avait peu parlé. Flottant dans sa capote tachée il avait l’air lointain de ceux qui ont une vie double, on eût dit d’un étranger en pleine nostalgie du pays natal, absent de notre monde à part de lycéens sans pères. » Retrouvant Paris, Chas découvre que l’arrière s’est lassé d’une guerre qui n’en finit pas. Dans la rue, de bons citoyens reprochent à Chas sa capote et ses godillots sales. Et puis il sent mauvais, il est mal rasé. Quelle image donne-t-il de l’armée française ?

Après avoir été gazé en 1917 et réformé au début de l’année 1918,  il évoque sa mésaventure de 1916 dans un dessin pour La Baïonnette de Charles Malexis. Dans le métro, un fantassin décoré, qui porte le numéro du régiment de Chas, le 34e Régiment d’Infanterie, de Mont-de-Marsan,  est assis à côté d’une d’une mégère qui redoute de salir ses vêtements au contact de l’uniforme couvert de boue séchée. Agacé, le soldat fatigué montre ses godasses :

« Çà, Madame, c’est de la terre que nous avons reprise aux Boches. »

Ce dessin exprime la désillusion que ressentent beaucoup de combattants à leur première prise de contact avec l’arrière. Très vite, ils comprennent que la vie continue sans eux et que les civils préfèrent oublier leur souffrance et leur misère .  » La vérité tragique », note Léon Werth, « c’est que tout le monde s’en fout, c’est que l’Univers s’en fout… » A noter que Chas ne s’en prend pas à la cible, facile, d’un embusqué., mais cible une bourgeoise ordinaire. Autre détail intéressant, la receveuse de la RATP à droite, qui rappelle que les femmes remplacent dans de nombreux emplois les hommes partis au front. La receveuse semble indifférente à la scène. Le soldat est d’ailleurs le seul homme présent dans l’image, façon pour Chas de souligner son sentiment d’exclusion.