La fille de Wiesbaden.
Malice, Pierre Mac Orlan, Henri Jonquières et Cie, 1924.En 1924, Henri Jonquières met en chantier un nouveau roman de Pierre Mac Orlan, Malice, l’occasion pour Chas Laborde de retourner prendre la température au-delà du Rhin. Chas arpente donc les bords du Rhin à Mayence. Il était déjà venu en 1922, guidé par le jeune et unique rédacteur de La Revue Rhénane, un certain Alexandre Vialatte, bien embêté de devoir accompagner le dessinateur dans « les quartiers infâmes (…) où il va prendre ses croquis ». Dirigée par le dramaturge Bernard Zimmer (1893-1963), la Revue Rhénane est publiée en Français et en Allemand dans la Rhénanie alors occupée par l’armée française. Mac Orlan y donne un article sur Chas Laborde pour le premier numéro en octobre 1922 et Vialatte se souvient de l’avoir vu dans son bureau, « très gentil, jovial, petit, un peu gros, genre américain, légion d’honneur, lorgnons jaunes.» Malice raconte l’histoire de Jean Saint-Jérôme, qui vit dans un village de Seine-et-Marne « après avoir terminé une vague carrière littéraire à Paris ». Poussé par l’ennui, il s’en va à Mayence, où il succombe « au romantisme rhénan » et aux charmes tarifés de Loulou la Bayerin, une « blonde maniérée, aux yeux rieurs et plissés ». Ruiné par sa maîtresse et un pantin jaune, « vêtu d’un hoqueton de laine citron tricotée et de grègues en soie bouton d’or », qui mange des marks, Saint-Jérôme finit par vendre son âme pour une corde et se pendre.
La Revue des Lettres signale l’écart entre le texte et l’illustration : « Charles Laborde a gravé pour Mac Orlan des eaux-fortes précises comme des photos, où le peuple de Rhénanie s’atteste heureux de vivre et moins ensorcelé que l’histoire. Mais le tout est exquis. » Chas ne représente, en fait, aucun des épisodes du roman. Ce qui le fascine, c’est le spectacle de la rue, où se côtoient bourgeois allemands vaquant à leurs affaires et officiers français se pavanant. Il synthétise ces foules, qu’il dessine en mouvement, dans la rue, le restaurant ou les boîtes de nuit.
L’occupation française se révèle familiale et bourgeoise, quelque peu dérisoire en regard des quatre ans de carnage. Les officiers soupent dans les restaurants de luxe, où un vendeur de journaux propose le Petit Journal et le Sans Gène. Bref, on fait comme chez soi. Et Chas Laborde croque avec cruauté, devant la caserne Hoche, un bel officier barbu et décoré, poussant le landau de bébé. Ces scènes vues annoncent les grands albums à venir. L’érotisme, « cette force secrète, tantôt déprimante, tantôt productrice d’énergie », dixit Mac Orlan, se taille une part importante dans l’illustration et Juliette Juvin sert de modèle à Chas pour dessiner le portrait de Loulou la Bayerin, toute en rondeurs et perversité blonde. Le trait est fin et la couleur appliquée à petites touches. |